1. |
Vanité de la Compassion
02:42
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« Comment avoir des idéaux quand il existe, sur cette terre, des sourds, des aveugles ou des fous ? Comment pourrais-je me réjouir du jour qu’un autre ne peut voir, ou du son qu’il ne peut entendre ? Je me sens responsable des ténèbres de tous et me considère comme un voleur de lumière. N’avons-nous pas, en effet, dérobé le jour à ceux qui ne voient pas et le son à ceux qui n’entendent pas ? Notre lucidité n’est-elle pas coupable des ténèbres des fous ? Sans savoir pourquoi, lorsque je pense à ces choses, je perds tout courage et toute volonté ; la pensée m’apparaît inutile, et vaine la compassion. Je ne me sens pas suffisamment normal pour compatir au malheur de qui que ce soit. La compassion est une marque de superficialité : les destins brisés et les malheurs irrémédiables vous poussent soit au hurlement, soit à l’inertie permanente. La pitié et la commisération sont aussi inefficaces qu’insultantes. De plus, comment compatir au malheur d’autrui lorsqu’on souffre infiniment soi-même? La compassion n’engage à rien, d’où sa fréquence. Nul n’est jamais mort icibas de la souffrance d’autrui. Quant à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n’est pas mort : il a été mis à mort. »
(Emil Cioran, Sur les Cimes du Désespoir)
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2. |
Le Bréviaire des Vaincus
07:38
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Je ne suis qu'un fou,
Errant parmi les sages,
Je me retrouve en vous,
La vésanie en héritage.
J'admire votre talent,
Pour sublimer la folie,
Vos mots sont si flamboyants,
J'ai dévoré vos écrits.
Je ne suis qu'un débutant,
Je ne parle pas la philosophie,
Votre phrasé est si exaltant,
Je ne vous arrive pas à la cheville.
Votre érudition m'impressionne,
Je fais partie des vaincus,
Chez moi rien ne fonctionne,
Je suis un raté absolu.
J'aurais aimé être assez doué
Pour tutoyer votre lyrisme,
Mais je dois m'incliner,
Vous êtes le maître du pessimisme.
« J’ai plus souvent goûté aux fruits de la mort qu’à ceux de la vie. Je ne tendais pas des mains avides pour les cueillir, et ma faim ne les épreignait pas avec de fébriles impatiences. Ils croissaient en moi. Les floraisons étaient voluptueuses dans les jardins du sang. Je rêvais d’oubli au royaume fluctuant de l’âme, j’imaginais des mers calmes, de non-être et de paix, et je me réveillais dans des flots grossis par les sueurs de l’effroi.
Sans doute suis-je pétri dans la glaise qui donne les moissons funèbres. Quand je veux éclore, dans mon printemps je découvre la mort. Je sors au soleil, fervent d’infini et d’espérances – et elle descend sur la douceur des rayons. Dans la nuit, elle tournoie telle une musique autour de moi et je meurs alors de sa majesté. Moi-même, je ne suis nulle part ; par elle, je suis partout. Elle se nourrit de moi et je me nourris d’elle. Jamais je n’ai voulu vivre sans vouloir mourir. Où suis-je plus acharné, dans la vie ou dans la mort ? »
(Emil Cioran, Le Bréviaire des Vaincus)
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3. |
Le Livre des Leurres
09:16
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« Il n’y a pas de moyen plus efficace de supporter la douleur que la mortification et l’autotorture. La douleur te ronge, te sape et t’engloutit ? Frappe-toi, gifle-toi, fouette-toi jusqu’à ce que tu éprouves des douleurs plus épouvantables. Certes, tu n’en triompheras pas de cette façon, mais tu la supporteras et tu en tireras bien plus qu’en l’acceptant médiocrement. Offre ton corps à la mortification, embrase-le que le feu en sorte, bande tes nerfs et serre les poings comme pour tout casser, comme pour embrasser le soleil et repousser les étoiles. Que le sang sillonne tes veines en courants chauds, violents et insoutenables ; que des visions pourpres te ravissent et qu’une auréole née du tremblement de la chair, des nerfs et du sang t’éblouisse. Que tout brûle en toi, pour que la douleur ne te rende pas doux et tiède. Le temps n’est pas encore venu où les mortifications, les autotortures et les tourments pourront donner tout ce qu’ils peuvent car les hommes ne connaissent pas encore le moyen d’extraire le feu de la souffrance.
Quand tu sens que la souffrance te subjugue et s’insinue en toi comme pour te paralyser, qu’elle prend de l’ampleur et interrompt ta vie sur place, utilise tout ce que tu possèdes pour tout brûler en toi, pour vivifier ton organisme, pour l’hébéter d’exaltation et l’étourdir de visions fascinantes. Les ongles dans la chair et le fouet sur la peau ; le visage tordu comme s’il éclatait, les yeux injectés comme dans l’effroi, le regard éperdu, rouge et pâle, essaie d’arrêter la débâcle, d’éviter la noyade morale et la paralysie organique. Excite tous tes organes, enivre-les de nouvelles douleurs et triomphe de l’attraction pour les ténèbres de la souffrance par des souffrances plus grandes encore. Le fouet peut arracher à la mort plus de vie que je ne sais quelles voluptés. Fouaille ta chair jusqu’à ce qu’elle vibre.
Sois sûr qu’après un tel traitement, tu auras moins de regrets et moins de désespoir. »
(Emil Cioran, Le Livre des Leurres)
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4. |
La Chute dans le Temps
07:56
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« Ce n’est pas dans l’inertie qu’on se tue, c’est dans un accès de fureur contre soi, c’est dans l’exaspération d’un sentiment qui pourrait se définir ainsi : « Je ne puis supporter plus longtemps d’être déçu par moi-même. » Ce sursaut suprême au plus profond d’une déception dont nous sommes l’objet, ne l’aurions-nous pressenti qu’à de rares intervalles, que nous en garderions la hantise, eussions-nous décidé une fois pour toutes de ne pas nous tuer. Si, à travers tant d’années, une « voix » nous assurait que nous ne lèverons pas la main sur nous, cette voix, l’âge venant, devient de moins en moins perceptible. C’est ainsi que plus nous allons, plus nous sommes à la merci de quelque silence fulgurant.
Celui qui se tue prouve qu’il aurait pu aussi bien tuer, qu’il ressentait même cette impulsion, mais qu’il l’a dirigée contre lui-même. Et s’il a l’air sournois, en dessous, c’est qu’il suit les méandres de la haine de soi et qu’il médite avec une cruauté perfide le coup auquel il succombera, non sans avoir auparavant reconsidéré sa naissance, qu’il s’empressera de maudire. C’est à elle effectivement qu’il faut s’en prendre si on veut extirper le mal à la racine. L’abominer est raisonnable et pourtant difficile et inhabituel. On se dresse contre la mort, contre ce qui doit survenir ; la naissance, événement autrement irréparable, on la laisse de côté, on ne s’en préoccupe guère : elle apparaît à chacun aussi lointaine dans le passé que le premier instant du monde. Seul y remonte celui qui songe à se supprimer ; on dirait qu’il n’arrive pas à oublier le mécanisme innommable de la procréation et qu’il essaie, par une horreur rétrospective, d’anéantir le germe même dont il est issu.»
(Emil Cioran, La Chute dans le Temps)
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5. |
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Pratiquant la philosophie du désespoir,
Je suis devenu partisan de l'agonie,
J'honore à ma façon votre mémoire,
Vous qui m'avez tant appris.
Je ne prétends pas avoir,
Le monopole de la souffrance,
J'ai abandonné l'espoir,
Perdu toute mon innocence.
J'admire votre vision du néant,
L'inanité de la philosophie,
Vos aphorismes sont tous pertinents,
Ils occupent une grande place dans mon esprit.
J'ai la même fascination pour la mort,
Même si elle me dégoûte autant que la vie,
J'avoue ne vous trouver aucun tort,
Vous me tenez compagnie lors de mes insomnies.
« La nostalgie de l’infini, trop vague, prend forme et contour dans le désir de mort. Nous cherchons de la précision même dans la torpeur rêveuse ou dans la défaillance poétique. La mort introduit de toute façon un certain ordre dans l’infini. N’est-elle pas sa seule direction ?
On ne peut apporter à l’encontre du suicide que ce type d’argument : il n’est pas naturel de mettre fin à ses jours avant d’avoir montré jusqu’où l’on peut aller, jusqu’où l’on peut s’accomplir. Bien que les suicidés croient en leur précocité, ils consument un acte avant d’avoir atteint la maturité, avant d’être mûrs pour une destruction voulue. On comprend aisément qu’un homme souhaite en finir avec la vie.
Mais que ne choisit-il le sommet, le moment le plus faste de sa croissance ? Les suicides sont horribles
pour ce qu’ils ne sont pas faits à temps ; ils interrompent un destin au lieu de le couronner. L’on doit cultiver sa fin. Pour les Anciens, le suicide était une pédagogie ; la fin germait et fleurissait en eux. Et lorsqu’ils s’éteignaient de bon gré, la mort était une fin sans crépuscule.
Il manque aux modernes la culture intime du suicide, l’esthétique de la fin. Aucun ne meurt comme il faut et tous finissent au hasard : non initiés au suicide, pauvres bougres de la mort. S’ils savaient terminer à temps, nous n’aurions pas le cœur serré en apprenant tant d’« actes désespérés », et nous n’appellerions pas « malheureux » un homme qui sanctifie son propre accomplissement. L’absence d’axe des modernes n’apparaît nulle part plus frappante que dans la distance intérieure qu’ils gardent par rapport au suicide soigné et réfléchi, qui signifie l’horreur du ratage, de l’abêtissement et de la vieillesse, et qui est un hommage à la force, à l’épanouissement et à l’héroïsme. »
(Emil Cioran, Le Crépuscule des Pensées)
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6. |
Moi et le Monde
07:22
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Explorateur des nuits sans sommeil,
Penseur organique qui guide ma vie,
À chacun de vos mots mon esprit s'émerveille,
Je me sens proche de vous lors de mes insomnies.
J'ai fait de vous mon unique modèle,
L'enfant des Carpates qui a fuit son pays,
Vampire de mes nuits, votre accent m'ensorcelle,
Dracula n'est pas le seul roi de Transylvanie.
Je vous ai rencontré totalement par hasard,
Vingt ans après votre disparition,
Sur les Cimes du Désespoir,
Et ce fut une révélation !
De syllogismes en amertume,
J'ai voyagé jusqu'au Crépuscule des pensées,
Vous avez su dissiper la brume,
J'ai pu ressentir vos pensées étranglées.
J'ai bien peur de devoir faire des aveux,
Même si je dois subir l'anathème,
Je suis un être profondément malheureux,
Vivre me cause tellement de peine.
Pardonnez-moi d'être aussi précis,
Mon âme est en décomposition,
Je suis un enfant de la mélancolie,
Qui perd peu à peu la raison.
L'histoire de ma vie est loin d'être une utopie,
Je suis incapable de faire preuve d'optimisme,
J'ai cet étrange pressentiment de la folie,
Qui a semé en moi les graines du pessimisme.
Je vis ma naissance comme un inconvénient,
Je n'ai jamais eu la tentation d'exister,
Je m'effondre et je chute dans le temps,
Vais-je pouvoir un jour me relever ?
"Le fait que j’existe prouve que le monde n’a pas de sens. Quel sens pourrais-je trouver, en effet, dans les supplices d’un homme infiniment tourmenté et malheureux,pour qui tout se réduit en dernière
instance au néant et pour qui la souffrance fait la loi de ce monde ? Que le monde ait permis l’existence d’un humain tel que moi montre que les taches sur le soleil de la vie sont si vastes qu’elles finiront par en cacher la lumière. La bestialité de la vie m’a piétiné et écrasé, elle m’a coupé les ailes en plein vol et refusé les joies auxquelles j’eusse pu prétendre."
(Emil Cioran, Sur les Cimes du Désespoir, "Moi et le Monde")
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7. |
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Grâce à vous, j'ai appris
À accepter mes envies suicidaires,
Ce ne sont pas les psys,
Qui m'ont aidé à y voir plus clair.
Le Suicide se fait par écrit,
Par la pensée même si l'on désespère,
Tout doit se passer dans notre esprit,
C'est l'envie d'en finir que l'on enterre.
« On ne se tue que si, par quelques côtés, on a toujours été en dehors de tout. Il s’agit d’une inappropriation originelle dont on peut n’être pas conscient. Qui est appelé à se tuer n’appartient que par accident à ce monde-ci ; il ne relève au fond d’aucun monde.
On n’est pas prédisposé, on est prédestiné au suicide, on y est voué avant toute déception, avant toute expérience : le bonheur y pousse autant que le malheur, il y pousse même davantage, car amorphe, improbable, il exige un effort d’adaptation exténuant, alors que le malheur offre la sécurité et la rigueur d’un rite.
Il est des nuits où l’avenir s’abolit, où de tous ses instants seul subsiste celui que nous choisirons pour n’être plus.
Le suicide est un accomplissement brusque, une délivrance fulgurante : c’est le nirvâna par la violence.
Le fait si simple de regarder un couteau et de comprendre qu’il ne dépend que de vous d’en faire un certain usage, vous donne une sensation de souveraineté qui tourne à la mégalomanie.
Quand nous saisit l’idée d’en finir, un espace s’étend devant nous, une vaste possibilité en dehors du temps et de l’éternité elle-même, une ouverture vertigineuse, un espoir de mourir par-delà la mort.
Se tuer, c’est, de fait, rivaliser avec la mort, c’est démontrer qu’on peut faire mieux qu’elle, c’est lui jouer un tour et, succès non négligeable, se racheter à ses propres yeux. On se rassure, on se persuade ainsi qu’on n’est pas le dernier, que l’on mérite quelque respect.
On se dit : Jusqu’à présent, incapable de prendre une initiative, je n’avais nulle estime pour moi, maintenant tout change : en me détruisant, je détruis du même coup toutes les raisons que j’avais de me mépriser, je regagne confiance, je suis quelqu’un pour toujours…
Puisque ma mission est de souffrir, je ne comprends pas pourquoi j’essaie d’imaginer mon sort autrement, encore moins pourquoi je me mets en colère contre des sensations. Car toute souffrance n’est que cela, à ses débuts et à sa fin en tout cas. Au milieu, c’est entendu, elle est un peu plus : un univers.»
(Emil Cioran, Rencontres avec le Suicide)
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8. |
Apocalypse
05:22
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« Comme j’aimerais que tous les gens occupés ou investis de missions, hommes et femmes, jeunes et vieux, sérieux ou superficiels, joyeux ou tristes, abandonnent un beau jour leurs besognes, renonçant à tout devoir ou obligation, pour sortir dans la rue et cesser toute activité ! Ces gens abrutis, qui travaillent sans raison ou se gargarisent de leur contribution au bien de l’humanité, trimant pour les générations à venir sous l’impulsion de la plus sinistre des illusions, se vengeraient alors de toute la médiocrité d’une vie nulle et stérile, de cet absurde gaspillage d’énergie si étranger à tout avancement spirituel. Que je goûterais ces instants, où plus personne ne se laisserait leurrer par un idéal ni tenter par aucune des satisfactions qu’offre la vie, où toute résignation serait illusoire, où les cadres d’une vie normale éclateraient définitivement ! Tous ceux qui souffrent en silence, sans oser exprimer leur amertume par le moindre soupir, hurleraient alors dans un chœur sinistre, dont les clameurs épouvantables feraient trembler la terre entière. Puissent les eaux déferler et les montagnes s’ébranler effroyablement, les arbres exhiber leurs racines comme une hideuse et éternelle remontrance, les oiseaux croasser à l’instar des corbeaux, les animaux épouvantés déambuler jusqu’à l’épuisement. Que tous les idéaux soient déclarés nuls ; les croyances – des broutilles ; l’art – un mensonge ; et la philosophie – de la rigolade. Que tout soit éruption et effondrement. Que de vastes morceaux arrachés du sol s’envolent et soient réduits en poussière ; que les plantes composent dans le firmament des arabesques bizarres, des contorsions grotesques, des figures mutilées et terrifiantes. Puissent des tourbillons de flammes s’élever dans un élan sauvage et envahir le monde entier, pour que le moindre vivant sache que la fin est proche. Que toute forme devienne informe et que le chaos engloutisse dans
un vertige universel tout ce qui, en ce monde, possède structure et consistance. Que tout soit fracas dément, râle colossal, terreur et explosion, suivis d’un silence éternel et d’un oubli définitif. Qu’en ces moments ultimes les hommes vivent à une telle température que tout ce que l’humanité a jamais ressenti en matière de regret, d’aspiration, d’amour, de haine et de désespoir éclate en eux dans une explosion dévastatrice. Dans un tel bouleversement, où plus personne ne trouverait de sens à la médiocrité du devoir, où l’existence se désintégrerait sous la pression de ses contradictions internes, que resterait-il hormis le triomphe du Rien et l’apothéose du non-être ? »
(Emil Cioran, Sur les Cimes du Désespoir)
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Etat Limite France
Atmospheric black metal from France.
Wintersieg: Music, production, lyrics and vocals.
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